Dernière mise à jour : 6/6/2018
Reims 1900-2000
Un siècle d'événements
Daniel Pellus

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23 juillet 1912 : l'inauguration officielle du parc Pommery à Reims
par
Daniel Pellus
Le 23 juillet 1912, 23000 spectateurs acclament à Reims vingt-sept
athlètes de retour des Jeux olympiques de Stockholm. Toute la presse
est là, qui parle abondamment de ces «Jeux olympiques de Reims», la
première grande manifestation sportive organisée en province, du parc
magnifique dans lequel se déroulent les épreuves — le parc Pommery,
dont c’est l’inauguration officielle — et de son promoteur, le marquis
Melchior de Polignac, considéré comme «le premier grand mécène sportif
de France».
Le marquis, sportif accompli, vient de réaliser un
vieux rêve. Les
travaux ont commencé quelques années plus tôt sur un vaste terrain
désertique et caillouteux de 22 hectares situé près de la route de
Châlons. Les plans ont été élaborés par un architecte paysagiste de
génie, le Rémois Édouard Redont, qui a su donner à cet ensemble sportif
le charme d’un jardin d’agrément, et en a fait un chef-d’œuvre de l’art
paysagiste. À l’origine, le parc était destiné au personnel de la
maison de champagne Pommery, mais il devint vite le premier grand parc
sportif de France et sera longtemps considéré comme le plus beau
Un an après cette grande manifestation sportive du
23 juillet 1912, le marquis de Polignac réalise un autre projet en
ouvrant dans le parc le Collège d’athlètes, dirigé par le lieutenant de
vaisseau Georges Hébert, qui va y enseigner sa célèbre «méthode
naturelle» connue sous le nom d’hébertisme. Il s’agit d’une méthode
simple, à la base de laquelle se trouvent la marche, la course, le
saut, le grimper, le lever, la natation et les exercices de défense
naturelle. Le parc Pommery offre déjà toutes les installations
nécessaires pour la bonne marche de ce collège, qui suscite cependant
quelques polémiques, certains intellectuels étant choqués par
l’accouplement du mot collège au mot athlètes, d’autres qualifiant ce
collège de «boutique à muscles», de «boîte à bachot pour candidats aux
Jeux olympiques». Mais la nouvelle méthode séduit beaucoup de jeunes
qui sont rebutés par les systèmes fastidieux d’éducation physique
pratiqués dans les écoles.
Pour comprendre cet engouement soudain, il faut
savoir qu’au début du XXe siècle le sport est encore considéré comme
une activité mineure, tout juste bonne pour quelques brutes «dépourvues
d’intelligence et assez mal élevées pour s’exhiber à moitié nues en
public». C’est pourquoi l’idée de créer un parc spécialement conçu pour
la pratique de jeux de plein air était une idée révolutionnaire. Il a
fallu toute la foi, la fougue et la jeunesse du marquis de Polignac
pour se lancer dans cette aventure et la réaliser en quelques années,
en dépit des critiques, qui ne manquaient pas.
La récompense arrivera en 1913, lorsque le président
de la République, Raymond Poincaré, qui vient d’inaugurer à Reims les
nouvelles salles du musée et l’hôtel de la Mutualité, décide de visiter
le Collège d’athlètes. Surprise générale! Jamais un président de la
République ne s’est «aventuré», selon l’expression d’un journaliste,
dans une manifestation sportive. Le maire de Reims lui-même, le bon
docteur Langlet, s’est montré très réticent avant de conduire Raymond
Poincaré au parc Pommery : «Jamais je ne mènerai le président voir des
hommes qui marchent à quatre pattes. C’est un retour offensant aux âges
primitifs»...
Mais le président trouve «vraiment beau, très beau»
le spectacle sportif qui lui est présenté. Il assiste à une leçon de
gymnastique, puis de natation, s’amuse en considérant la course à
quatre pattes, et admire «le modelé des muscles et la souplesse
des corps». Sa satisfaction est considérée par la presse comme la
consécration officielle de l’éducation physique en France. Ce que le
journal L’Opinion commentera en ces termes : «Il est bien flatteur
d’assister à une journée historique... Nous sommes ravis que la
consécration officielle de l’éducation physique n’ait pas eu lieu en
mars dernier, sous les verrières du Vél’d’Hiv. On aurait pu en
induire que l’éducation physique était une affaire bien parisienne et
que l’idéal était de la pratiquer en vase clos. Reims, cela vaut mieux.
C’est de la bonne décentralisation. Et puis, le nom de la cité royale
sonne je ne sais quoi de plus traditionnel, de plus auguste lorsqu’il
s’agit d’une consécration, que notre Paris cosmopolite et multiple. A
Paris, l’événement pouvait être masqué par un crime passionnel ou par
le mariage de Mlle Mistinguett. A Reims, il eut toute sa valeur. Il fut
à l’échelle, si j’ose dire, de la cathédrale et de l’histoire de
France».
A Reims, la méthode Hébert va révolutionner
l’enseignement de l’éducation physique dans les établissements
scolaires. Georges Hébert se rend lui-même deux fois par semaine au
lycée de jeunes filles. Habituées à une gymnastique morose faite d’une
suite fastidieuse de mouvements de bras et de jambes — un, deux, trois,
levez les bras, baissez les bras... —, les lycéennes découvrent avec
émerveillement cette méthode qui leur permet de courir dans les jardins
du lycée, de grimper à la corde, de jouer à saute-mouton. Dès lors,
l’heure de gymnastique devient l’une des plus agréables dans le
programme des études secondaires.
Malheureusement, les jours du Collège sont comptés.
En 1914, le jour de la mobilisation générale, ses athlètes se
dispersent.
Certains ne reviendront pas. Et le parc Pommery,
situé sur le front, ne sera plus en 1918 qu’un amas de ruines.
Cependant, par la suite, il sera restauré et connaîtra encore de belles
manifestations sportives et de grandes fêtes. C’est notamment sur ses
terrains que s’entraînera, à son époque glorieuse, la fameuse équipe du
Stade de Reims.
Extrait
de Reims
1900-2000 - Un siècle d'événements de Daniel Pellus. © Éditions
Fradet, 2001. Tous droits réservés.
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L'histoire de Reims
Années 1910. Une
idée révolutionnaire :
le parc Pommery.
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