24 juillet 1481 : un terrible incendie ravage la cathédrale de Reims
par
Daniel Pellus
Le 24 juillet
1481, un terrible incendie ravage la cathédrale, anéantissant une
partie de deux siècles de labeur.
La
catastrophe arrive en fin de matinée, entre onze heures et midi. Des
ouvriers chargés de réparer la toiture de plomb de l’édifice avaient
laissé dans les combles un fourneau à fondre le plomb allumé, pendant
qu’ils se rendaient en ville sur un autre chantier. Le feu se
communique à la charpente et dévore rapidement toute la toiture de la
cathédrale. Dès l’apparition d’une fumée suspecte sortant du clocher
situé sur le chœur, l’alerte est donnée. On accourt de toutes parts.
Les Rémois tentent de lutter contre l’incendie avec l’eau qu’ils
apportent dans des seaux en cuir. Mais c’est en vain. Le Moyen Age est
impuissant contre de tels sinistres. «Le métal en fusion était sur les
voûtes comme une mer ondoyante, raconte Oudart Coquault dans ses
mémoires. Le plomb de la couverture de l’église dont elle était
couverte fondait sur ceux qui se présentaient pour éteindre le feu et
se répandait jusque dans les rues voisines (la rue de Vesle et
l’actuelle rue de Talleyrand). Vers 9 heures du soir le feu, qui
semblait s’être un peu apaisé, reprit avec une intensité nouvelle. Les
flammes ne s’arrêtèrent que lorsqu’elles atteignirent les voûtes et
n’eurent plus rien à consommer. La toiture, le clocher central, les
pavillons qui surmontaient les tours du transept étaient réduits en
cendres. Les galeries en pierre à la naissance des combles, les pignons
des façades des croisillons étaient totalement calcinés. Onze cloches
avaient été fondues.»
Entre-temps,
on a pu sauver les reliques et les tables d’or, que l’on désirait
mettre hors d’atteinte aussi bien des voleurs que de l’incendie. Dès
l’après-midi, avant la reprise du feu, les principaux habitants de la
cité se sont réunis et ont décidé d’envoyer l’un des leurs, Nicolas le
Membru, vers le roi pour l’informer du désastre de la cathédrale de
Reims, lui présenter les excuses de la ville... et lui faire savoir que
les habitants n’avaient pas la garde de l’église, dont les chanoines
étaient les seuls responsables.
La
première réaction de Louis XI, soupçonneux par nature, sera assez
violente. «Par Notre Dame, aurait-il dit, si faisions notre devoir,
nous mettrions de bons moines en notre église de Reims, et chasserions
d’icelle ces méchants chanoines!»
De son côté, le chapitre se réunit dès le lendemain pour faire le bilan
du sinistre. Les responsables de l’incendie, Jehan et Rémi Legoys, sont
arrêtés et conduits à la prison de Laon. Par la suite, ils obtiendront
des «lettres de pardon du roi», que le chapitre refusera d’entériner.
Réunis
le 25 juillet, les chanoines décident eux aussi qu’il convient de
s’adresser au roi et de lui demander de venir au secours de l’église
«dans laquelle lui et ses prédécesseurs reçurent l’onction sainte». Et
le dimanche 29 juillet, ils organisent une procession pour implorer le
secours du ciel. «Y sont portées, raconte Oudard Coquault, les châsses
de saint Nicaise, sainte Eutrope, saint Calixte, saint Rigobert, après
celle de Notre-Dame, et derrière la grande image du Saint Laict et les
deux anges.»
Les
délégués envoyés par les chanoines auprès du roi ne reçoivent pas un
accueil très chaleureux. Louis XI se contente de leur déclarer, à
propos de la cathédrale, «qu’il y ferait du bien, et qu’il fallait la
refaire». Mais il ne tiendra pas ses promesses. Le roi avait alors
d’autres soucis : il commençait à ressentir les premières atteintes de
la maladie qui devait l’emporter. Le sort de la cathédrale de Reims ne
l’intéressait pas. Selon l’historien Anquetil, il ne dirigeait ses
regards que vers l’abbaye de Saint-Remi. «Là se trouvait l’ampoule
envoyée miraculeusement du ciel à Monseigneur saint Remi pour le
baptême du premier roi chrétien, dont lui-même avait été oint en son
sacre, et qui, par une nouvelle et sainte onction, le pouvait le rendre
sain et sauf aux jouissances de la royauté qui lui échappaient.»
Le
chapitre devra donc se débrouiller tout seul. Pour financer les travaux
de restauration, il organise des quêtes dans le diocèse, et envoie des
lettres pressantes aux évêques de la région. Les évêques de Châlons, de
Soissons et de Laon, et la Flandre sont les plus généreux. Plusieurs
notables participent aux premiers frais, comme le comte d’Angoulême,
père de François Ier, qui octroie, en sa qualité de seigneur d’Épernay,
cent vingt pièces de bois tirées de la forêt voisine pour réparer les
combles. Comme le chanoine Gobin, qui offre tous ses biens. Les
chapelains de l’ancienne congrégation mettent à la disposition du
chapitre leurs biens personnels. Mais l’enthousiasme religieux qui
avait permis la construction de la cathédrale au xiiie siècle s’est
bien affaibli. Les dons et les quêtes suffiront-ils pour réparer le
monument?
On constate avec stupeur l’importance des dégâts causés par l’incendie.
Le grand clocher situé au centre de l’édifice a disparu, de même que le
petit clocher connu sous le nom de «clocher à l’ange». Les quatre
pavillons situés à droite et à gauche de chaque transept ont été
détruits, ainsi que les pignons des transepts et les galeries en pierre
élevées sur les corniches des hautes murailles.
Le
premier soin des chanoines est de faire procéder aux réparations les
plus urgentes. On rallume les feux sous les voûtes et l’on met en
fusion le métal des cloches et du toit. Le plomb laminé est appliqué
sur la maçonnerie des voûtes pour les préserver provisoirement. Ce
procédé n’étant pas suffisant, on construit un toit en planches que
l’on recouvre de feuilles de plomb.
En
1483, le chapitre fait établir un devis de l’œuvre de charpente par un
entrepreneur, maître Collart-Lemoyne. Las! les ressources trouvées
jusqu’à présent ne permettent pas d’avancer davantage les travaux. Il
faut attendre la mort de Louis XI et la désignation de son successeur,
Charles VIII. Le jour de son sacre, ce dernier est ému en constatant
l’état désastreux de la cathédrale. Il ordonne le prélèvement pendant
huit ans d’un droit sur la gabelle, l’impôt sur le sel, dans tous les
greniers du royaume.
Cette
aide royale va permettre de relancer les travaux. Mais ceux-ci seront
longs et laborieux. En 1516, après trente années d’efforts, le chapitre
n’a pas encore réussi à faire réparer tout «ce que trois heures
d’incendie avaient détruit». Les tours sont encore couvertes d’un toit
en ardoise. Et l’on ne parle plus d’achever la construction de la
cathédrale...
Car
la cathédrale ne sera jamais achevée. Viollet-le-Duc a représenté, dans
un dessin devenu célèbre, ce qu’aurait dû être la cathédrale si on
avait pu mener jusqu’au bout sa construction. Elle devait être
surmontée de multiples flèches : deux grandes flèches sur les tours de
la façade, qui auraient porté la hauteur totale de l’édifice à environ
126 mètres, quatre flèches moins importantes sur les tours accotées aux
deux transepts, et enfin une flèche d’une hauteur prodigieuse au centre
de l’édifice, à la croisée des transepts, là où se trouve maintenant le
carillon.
Doit-on
regretter cette forêt de flèches? La question sera discutée. Les uns
trouveront que la cathédrale est bien comme elle est. D’autres
estimeront que la beauté de l’édifice souffre de ce caractère inachevé.
Mais depuis longtemps les architectes ont abandonné définitivement ce
beau rêve. La cathédrale subira encore de cruelles mutilations,
notamment en 1914. Il n’est plus question maintenant que de préserver
pour les siècles futurs ses immenses richesses.
Extrait de Reims 1000-1600
- Six siècles d'événements de Daniel Pellus. © Éditions Fradet,
2007. Tous
droits réservés.