19
septembre 1914
: la cathédrale de Reims bombardée, incendiée...
par Daniel Pellus
Le 19 septembre 1914, des hauteurs de Brimont, Berru, Nogent-l’Abbesse,
Cernay où ils ont pris solidement position, les Allemands commencent à
bombarder Reims. Un bombardement systématique, implacable, qui va durer
huit heures. Huit heures de cauchemar pour les Rémois qui se réfugient
dans les caves ou fuient précipitamment la ville pour échapper à
l’enfer.
Dès le matin, les obus pleuvent sur le centre de la ville. L’ancien
archevêché est incendié. Le quartier des Cordeliers, de la rue de
l’Université, de la place Royale à la place Godinot, est en flammes. Le
vieux quartier des laines s’écroule sous un incendie que l’on ne pourra
éteindre avant quatre jours. Le feu gagne bientôt la rue Courmeaux, la
place des Marchés, la rue de Vesle.
A midi, un témoin qui a noté le déroulement de cette journée remarque
que, si le feu fait rage dans le centre, «la cathédrale par contre n’a
pas été touchée». Pas encore. L’incendie de la cathédrale, ce sera pour
la fin. L’apothéose de cette journée que l’histoire consignera comme
l’une des plus tragiques que Reims ait connue.
A 15 heures, un obus traverse l’échafaudage qui a été dressé en 1913 le
long de la tour nord. L’obus explose dans cet amalgame de poutres et y
met le feu. On appelle les pompiers. Mais que peuvent-ils faire alors
qu’une partie de la ville et même leur caserne sont en feu?... Bientôt
les flammes s’engouffrent dans la nef, attaquent les portes, se
communiquent à la paille qui jonche le sol de la cathédrale et sur
laquelle reposent des blessés allemands. C’est la panique. Mais les
Allemands, que la foule veut massacrer, sont sortis de l’édifice et
sauvés grâce à l’intervention énergique des abbés Landrieux, Thinot et
Andrieux.
Pendant ce temps, le feu poursuit ses ravages. Dans le beffroi de la
tour nord, les cloches s’écroulent. Bientôt, la fumée sort de la
toiture de la cathédrale. Dans les combles, le feu a trouvé un
aliment de choix : les énormes poutres de chêne de l’immense charpente
qui a été mise en place 433 ans plus tôt, en 1481, après le premier
incendie de la cathédrale, accidentel celui-là. Au chevet, le clocher à
l’ange disparaît dans les flammes. Le plomb en ébullition des feuilles
qui recouvrent la toiture coule à plein ruisseau sur les voûtes, dans
les chéneaux et par les gargouilles. Une vision de cauchemar.
En ville, la nouvelle s’est vite répandue : «La cathédrale brûle! Ils
ont brûlé la cathédrale!» Alors, des quatre coins de la cité, les
Rémois commencent à affluer vers le centre. Ils sont sortis des caves
où ils entendaient le bruit assourdi des explosions et attendaient dans
l’angoisse la fin de la tourmente. Inconscients du danger, car le
bombardement peut reprendre à tout moment. «Le coup d’œil est
terrifiant, raconte un témoin. A gauche, en face, à droite et même en
arrière, c’est un océan de feu. On ne peut imaginer un spectacle aussi
triste, aussi poignant. La désolation est si grande qu’un grand nombre
de Rémois ne peuvent s’empêcher de pleurer».
Henri Matot, qui avait 12 ans à l’époque, a gardé le souvenir très
précis de cette journée qui a marqué son enfance : «Nous étions dans la
cave de notre imprimerie, rue du Cadran-Saint-Pierre, lorsqu’un obus
est tombé sur la maison, détruisant le second et le premier étage.
Quand nous sommes sortis, à cinq heures du soir, j’ai vu la cathédrale
en flammes. Nous avons couru place des Marchés.
Tout le quartier brûlait. Les statues de la
cathédrale semblaient se tordre de douleur. Je regardais la toiture de
l’édifice se consumer. C’est une vision que je n’oublie pas.» Le
journaliste Marc Blanc, qui avait 15 ans en 1914, racontera lui aussi
le gigantesque incendie : «Ce feu d’artifice aux couleurs changeantes :
bleue, verte, orangée selon la fusion des métaux, cette immense colonne
de fumée jaunâtre que modelait un soleil oblique et qui, portée au loin
par le vent, signait sur fond de ciel l’ignominie allemande...»
«A cinq heures et demie, écrira un autre témoin, M. Aubert, la toiture
achève de se consumer. On aperçoit, à travers les vitraux de la grande
nef, des lueurs rouges faisant supposer qu’à l’intérieur tout brûle. On
s’arrache à grand’peine de ce spectacle terrifiant qui ne sortira
jamais de notre mémoire.»
Extrait de Reims 1900-2000 - Un siècle d'événements de Daniel Pellus. © Éditions Fradet, 2001. Tous droits réservés.